Nature et Poésie

Une sélection de beaux textes à découvrir… Contemporains ou anciens des écrits pleins de vie et de poésie pour tous.

Vivian Maier : de l’ombre à la lumière…

Toute une vie au souffle de l’émotion

Immortalisée à jamais dans des images instantanées, cette émotion, Vivian Maier a su la capter avec virtuosité mais personne n’a jamais pu voir son incroyable travail. Conservés dans des centaines de cartons, ses photographies et pellicules ont été découverts par hasard en 2008 lors d’une vente aux enchères. 
Qui n’a jamais rêvé d’ouvrir une malle pour y découvrir un trésor ? 
Un jour de l’hiver 2008, c’est ce qui est arrivé à John Maloof.
Cet agent immobilier américain de 26 ans avait acheté aux enchères, pour 400 dollars, un lot de 30 000 photographies anciennes exhumées après la liquidation d’un garde-meubles de Chicago. Président d’une association consacrée à l’histoire locale, il espérait y trouver des illustrations pour un livre en préparation. Ce qu’il découvrit sous la poussière est aujourd’hui considéré comme une œuvre inestimable. « À l’époque, je ne connaissais rien à la photo, reconnaît ce grand homme blond à l’allure adolescente. Mais ces instantanés avaient quelque chose de fascinant. » Il se laisse happer par l’élégance, la tendresse et l’humanité de ces clichés vieux d’un demi-siècle. Autant d’expressions et de moments surpris d’un coup d’œil vif et tendre, en ces temps de ségrégation raciale, où l’ironie affleure aussi souvent que les larmes.
Sa découverte va changer l’histoire de la photographie de rue.
Parmi ces milliers d’images, un visage revient : une femme, barrette fichée dans une coiffure sans apprêt, son appareil photo sur le ventre. L’artiste est là, cachée au milieu de ses propres clichés, révélée dans ces dizaines d’autoportraits réalisés au fil des années.
Il contacte la salle de ventes et demande à connaître l’identité de la vendeuse. On lui répond que Vivian Maier est une vieille dame malade, qu’il ne faut pas la déranger. Rien de plus. Maloof l’imagine journaliste ou artiste. Sur Google, son nom ne renvoie à aucune occurrence. Personne ne sait que c’est sa vie entière qui repose dans ces malles, résumée en centaines de pellicules embobinées dans leur étui, coupures de journaux ¬archivées avec soin, livres d’art et de photographie, magazines classés, chapeaux mous, bijoux de pacotille, chaussures sans grâce, courriers, boîtiers d’appareils photos et de caméras Super 8. Se présentant à un entretien d’embauche en 1987, Vivian Maier avait annoncé la couleur à ses futurs employeurs : « Je viens avec ma vie et ma vie est dans ces cartons. » En tout, deux cents caisses qui l’ont suivie partout, avant d’être remisées dans un box quand elle n’eut plus d’endroit où poser ses valises. Elles attendaient là que la providence veuille bien révéler au monde l’existence de leur propriétaire.
Le destin a donc pris le visage d’un agent immobilier aux lunettes carrées. 
John Maloof rachète presque tous les lots dispersés le jour des enchères, un seul lui échappe, détenu par un autre collectionneur, Jeffrey Goldstein, qui possède aujourd’hui environ un dixième du fonds. Il se lance dans le dépouillement compulsif des milliers d’images, scanne les négatifs, commence à développer avec d’infinies précautions les pellicules exposées des décennies plus tôt.
Il découvre des clichés somptueux que personne (pas même Vivian Maier) n’a jamais vus : « C’était magique », reconnaît-il.
Il se retrouve en possession de plus de 120 000 négatifs.
Le jeune homme prend alors la décision de faire connaître au monde le travail de Vivian Maier. Il crée un blog pour diffuser les clichés de l’inconnue, les poste sur les réseaux sociaux où des centaines de commentaires élogieux fusent du monde entier. Sur ses propres deniers, il organise une première exposition au centre culturel de Chicago. C’est le début d’un succès phénoménal. L’acteur et collectionneur Tim Roth s’emballe pour Vivian Maier. Howard Greenberg, célèbre galeriste new-yorkais qui distribue la crème de la photo du XXe siècle – de Man Ray à Cartier-Bresson en passant par Dorothea Lange, Lartigue ou Capa – la considère aujourd’hui comme l’artiste la plus passionnante de son catalogue.
Comment une artiste aussi douée a-t-elle pu demeurer anonyme ?
Au printemps 2009, Maloof tente de nouveau sa chance sur Google. Cette fois, le moteur de recherche lui apporte une réponse : un avis de décès, paru quelques jours plus tôt dans le Chicago Tribune, annonce que Vivian Maier vient de mourir, à 83 ans…

Si John Maloof sait maintenant qu’il ne rencontrera jamais Vivian Maier, il peut enfin remonter le fil de son existence. Chargé d’âme, il se sent investi d’une mission.
La photographe de génie était donc une nounou. De 1956 à 1972, cette grande femme discrète a élevé John, Lane et Matthew Gensburg, dans la maison familiale, au cœur d’une banlieue chic du nord de Chicago. Quand Maloof contacte la famille, les Gensburg lui racontent qu’ils se sont occupés de la vieille dame à la fin de sa vie, louant pour elle un petit appartement près du lac Michigan. À l’hiver 2007, quand sa tête heurta le sol après une chute sur une plaque de verglas, ils lui trouvèrent une maison de repos à sa sortie de l’hôpital. C’est là qu’elle rendit son dernier souffle. Les frères Gensburg ont dispersé ses cendres dans le petit bois aux fraisiers sauvages où elle aimait les emmener en promenade, mais ils détiennent encore un bric-à-brac volumineux d’annuaires périmés, de coupures de presse archivées dans des classeurs, d’horaires de chemin de fer et un demi-siècle de correspondance.
Autant de pièces qui vont permettre à Maloof de reconstituer sa vie, à travers une quête qui donne aujourd’hui lieu à un documentaire émouvant, Finding Vivian Maier.

On ignore toujours pourquoi elle a gardé ses images pour elle.
Mais après tout, cela ne regarde personne.
L’essentiel demeure : ses milliers de clichés poignants, beaux et drôles appartiennent à l’histoire de la photographie. .