Nature et Poésie

Une sélection de beaux textes à découvrir… Contemporains ou anciens des écrits pleins de vie et de poésie pour tous.

Victor HUGO : conscience et combats

Actes et Paroles, extraits du recueil de textes et discours écrits entre 1841 et 1851 (œuvre du domaine public).

Liberté de la presse  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –

« La souveraineté du peuple, le suffrage universel, la liberté de la presse, sont trois choses identiques, ou, pour mieux dire, c’est la même chose sous trois noms différents.
A elles trois, elles constituent notre droit public tout entier ; la première en est le principe, la seconde en est le mode, la troisième en est le verbe. La souveraineté du peuple, c’est la nation à l’état abstrait, c’est l’âme du pays. Elle se manifeste sous deux formes ; d’une main, elle écrit, c’est la liberté de la presse ; de l’autre, elle vote, c’est le suffrage universel.
Ces trois choses, ces trois faits, ces trois principes, liés d’une solidarité essentielle, faisant chacun leur fonction, la souveraineté du peuple vivifiant, le suffrage universel gouvernant, la presse éclairant, se confondent dans une étroite et indissoluble unité, et cette unité, c’est la république.
Et voyez comme toutes les vérités se retrouvent et se rencontrent, parce qu’ayant le même point de départ elles ont nécessairement le même point d’arrivée ! La souveraineté du peuple crée la liberté, le suffrage universel crée l’égalité, la presse, qui l’ait le jour dans les esprits, crée la fraternité. Partout ou ces trois principes, souveraineté du peuple, suffrage universel, liberté de la presse, existent dans leur puissance et dans leur plénitude, la république existe, même sous le mot monarchie. Là, où ces trois principes sont amoindris dans leur développement, opprimés dans leur action, méconnus dans leur solidarité, contestés dans leur majesté, il y a monarchie ou oligarchie, même sous le mot république…
Prenons-y garde et ne l’oublions jamais, nous législateurs, ces trois principes, peuple souverain, suffrage universel, presse libre, vivent d’une vie commune. Aussi voyez comme ils se défendent réciproquement !
La Liberté de la presse est-elle en péril, le suffrage universel se lève et la protège. Le suffrage universel est-il menacé, la presse accourt et le défend. Messieurs, toute atteinte à la liberté de la presse, toute atteinte au suffrage universel est un attentat contre la souveraineté nationale. La liberté mutilée, c’est la souveraineté paralysée. La souveraineté du peuple n’est pas, si elle ne peut agir et si elle ne peut parler. Or, entraver le suffrage universel, c’est lui ôter l’action ; entraver la liberté de la presse, c’est lui ôter la parole. » 

Enquête sur la misère –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –  –

« Quelles sont les causes de cette misère ? Les longues agitations politiques, les lacunes de la prévoyance sociale, l’imperfection des lois, les faux systèmes, les chimères poursuivies et les réalités délaissées, la faute des hommes, la force des choses.
Voilà, messieurs, de quelles causes est sortie la misère. Cette misère, cette immense souffrance publique, est aujourd’hui toute la question sociale, toute la question politique… Cette misère, je le répète, est aujourd’hui la question d’état.
Il faut la combattre, il faut la dissoudre, il faut la détruire, non-seulement parce que cela est humain, mais encore parce que cela est sage…
Réfléchissez, en effet, messieurs.
Cette misère est là, sur la place publique. L’esprit d’anarchie passe et s’en empare. Les partis violents, les hommes chimériques, le communisme, le terrorisme surviennent, trouvent la misère publique à leur disposition, la saisissent et la précipitent contre la société.
Avec de la souffrance, on a sitôt fait de la haine ! De là ces coups de main redoutables ou ces effrayantes insurrections…
Il y a là une foule de problèmes qui veulent être mûris et médités…
Il y a aujourd’hui dans les masses de la souffrance ; mais il y a aussi de la dignité. Et c’est un bien. Le travailleur veut être traité, non comme un pauvre, mais comme un citoyen…
…Dans un siècle comme le nôtre, pour une nation comme la France, après trois révolutions qui ont fait surgir une foule de questions capitales de civilisation dans un ordre inattendu, le vrai gouvernement, le bon gouvernement est celui qui accepte toutes les conditions du développement social, qui observe, étudie, explore, expérimente, qui accueille l’intelligence comme un auxiliaire et non comme une ennemie, qui aide la vérité à sortir de la mêlée des systèmes, qui fait servir toutes les libertés à féconder toutes les forces, qui aborde de bonne foi le problème de l’éducation pour l’enfant et du travail pour l’homme !
Le vrai gouvernement est celui auquel la lumière qui s’accroît ne fait pas mal, et auquel le peuple qui grandit ne fait pas peur !
Le vrai gouvernement est celui qui met loyalement à l’ordre du jour, pour les approfondir et pour les résoudre sympathiquement, toutes ces questions si pressantes et si graves de crédit, de salaire, de chômage, de circulation, de production et de consommation, de colonisation, de désarmement, de malaise et de bien-être, de richesse et de misère, toutes les promesses de la constitution, la grande question du peuple, en un mot !
Le vrai gouvernement est celui qui organise, et non celui qui comprime ! celui qui se met à la tête de toutes les idées, et non celui qui se met à la suite de toutes les rancunes !…
Hommes qui nous gouvernez, ministres !-et en parlant ainsi je m’adresse non-seulement aux ministres publics que je vois là sur ce banc, mais aux ministres anonymes, car en ce moment il y a deux sortes de gouvernants, ceux qui se montrent et ceux qui se cachent. -ministres ! ce que vous faites, le savez-vous ? Où vous allez, le voyez-vous ? Non !
…Je dis que nous en avons assez, nous qui ne sommes pas le gouvernement, qui ne sommes que la nation, des imprudences, des provocations, des réactions, des maladresses qu’on fait par excès d’habileté et des folies qu’on fait par excès de sagesse ! Nous en avons assez des gens qui nous perdent sous prétexte qu’ils sont des sauveurs ! Je dis que nous ne voulons plus de révolutions nouvelles. Je dis que, de même que tout le monde a tout à gagner au progrès, personne n’a plus rien à gagner aux révolutions.
… Je ne cherche pas à convaincre ici ces théoriciens du pouvoir qui l’exagèrent, et qui, en l’exagérant, le compromettent, qui font de la provocation en artistes, pour avoir le plaisir de faire ensuite de la compression ; et qui, parce qu’ils ont arraché quelques peupliers du pavé de Paris, s’imaginent être de force à déraciner la presse du cœur du peuple ! Je ne cherche pas à convaincre ces hommes d’état du passé, infiltrés depuis trente ans de tous les vieux virus de la politique, ni ces personnages fervents qui excommunient la presse en masse, qui ne daignent même pas distinguer la bonne de la mauvaise, et qui affirment que le meilleur des journaux ne vaut pas le pire des prédicateurs.
… Dans la crise que nous traversons, crise salutaire, après tout, et qui se dénouera bien, c’est ma conviction, on s’écrie de tous les côtés : Le désordre moral est immense, le péril social est imminent.
On cherche autour de soi avec anxiété, on se regarde, et l’on se demande :
Qui est-ce qui fait tout ce ravage ? Qui est-ce qui fait tout le mal ? quel est le coupable ? qui faut-il punir ? qui faut-il frapper ?
Le parti de la peur, en Europe, dit : C’est la France. En France, il dit : C’est Paris. A Paris, il dit : C’est la presse. L’homme froid qui observe et qui pense dit : Le coupable, ce n’est pas la presse, ce n’est pas Paris, ce n’est pas la France ; le coupable, c’est l’esprit humain !
C’est l’esprit humain. L’esprit humain qui a fait les nations ce qu’elles sont ; qui, depuis l’origine des choses, scrute, examine, discute, débat, doute, contredit, approfondit, affirme et poursuit sans relâche la solution du problème éternellement posé à la créature par le créateur. C’est l’esprit humain qui, sans cesse persécuté, combattu, comprimé, refoulé, ne disparaît que pour reparaître, et, passant d’une besogne à l’autre, prend successivement de siècle en siècle la figure de tous les grands agitateurs… C’est l’esprit humain qui, depuis que l’histoire existe, a transformé les sociétés et les gouvernements selon une loi de plus en plus acceptable par la raison, qui a été la théocratie, l’aristocratie, la monarchie, et qui est aujourd’hui la démocratie. »