Nature et Poésie

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TOLSTOÏ : Chacun parvient à la vérité selon sa propre voie…

 

« Depuis plus de cent ans, Léon Tolstoï (de son vrai nom Lev Nikolaîevitch Tolstoï) fait partie des écrivains les plus célèbres et les plus lus du monde entier. Son nom figure invariablement parmi les principaux auteurs cités dans l’Index translationum de l’UNESCO…

La gloire de Tolstoï écrivain a, dans une certaine mesure, éclipsé ses idées pédagogiques. Pourtant, sa pensée et son action dans ce domaine ont engendré d’innombrables débats qui ne sont pas encore clos. Parmi ses contemporains, certains pédagogues professionnels mettaient même en doute sa compétence quant aux questions d’éducation, et l’enseignement qu’il dispensait dans l’école qu’il avait ouverte était presque considéré comme le divertissement d’un aristocrate russe en proie à l’ennui.

Néanmoins, l’histoire de la pédagogie des temps modernes témoigne exactement du contraire; en effet, si les créations littéraires de Tolstoï représentent un grand progrès dans le développement culturel de l’humanité, son expérience pédagogique a aussi largement contribué aux sciences de l’éducation et à l’enseignement. En dépit d’une opinion largement répandue parmi les critiques littéraires, Tolstoï plaçait ses ouvrages pédagogiques au-dessus de ses œuvres littéraires (il l’a souligné à plusieurs reprises). Pour savoir qui a raison, de l’écrivain lui-même ou de ses interprètes, il faut examiner la place qu’occupaient les questions de pédagogie dans sa vie et ses activités, définir ce qu’il a apporté de nouveau dans ce domaine, et dégager l’influence de ses théories sur le développement du système scolaire et de la pensée pédagogique.

Tolstoï avait depuis longtemps l’intention de rédiger un abécédaire à l’intention des tout petits ; le sien ne devait ressembler à aucun autre. Son plan général, son contenu, sa structure logique lui prirent beaucoup de temps.
Tolstoï en parla souvent avec émotion : « Je ne sais ce qui sortira de ce travail, mais j’y ai mis toute mon âme ».

Il avait de grandes ambitions pour l’Abécédaire, estimant que plusieurs générations d’enfants russes, fils de moujiks et fils de tsars, y apprendraient à lire et connaîtraient grâce à lui leurs premières émotions poétiques ».
Il alla même jusqu’à dire : « … Quand j’aurai terminé cet abécédaire, je pourrai mourir en paix »« .

Semion Filippovitch Egorov (Fédération de Russie) ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000

. . .  T O L S T O Ï   . . . 
Quelques extraits de sa pensée

Le soleil ne donne la vie qu’à ceux en qui elle a déjà germé. »

La possibilité de vivre sur la terre, de s’en nourrir par son travail, a été et restera toujours une des principales conditions de la vie indépendante et heureuse. Tous les hommes l’ont su et le savent, et c’est pourquoi ils ont toujours aspiré et aspireront toujours à quelque chose qui ressemble à cette vie, de même que le poisson recherche l’eau.

Envers les choses, on peut agir sans amour : on peut, sans amour, fendre le bois, battre le fer, cuire des briques ; mais dans les rapports d’homme à homme l’amour est aussi indispensable que l’est par exemple la prudence dans les rapports de l’homme avec les abeilles. La nature le veut ainsi, c’est une nécessité de l’ordre des choses.
Si l’on voulait laisser de côté la prudence quand on a affaire aux abeilles, on nuirait aux abeilles et on se nuirait à soi-même. Et pareillement il n’y a pas à songer à laisser de côté l’amour quand on a affaire aux hommes. Et cela n’est que juste, car l’amour réciproque entre hommes est l’unique fondement possible de la vie de l’humanité. Sans doute un homme ne peut pas se contraindre à aimer, comme il peut se contraindre à travailler ; mais de là ne résulte point que quelqu’un puisse agir envers les hommes sans amour, surtout si lui-même a besoin des autres hommes.
L’homme qui ne se sent pas d’amour pour les autres hommes, qu’un tel homme s’occupe de soi, de choses inanimées, de tout ce qui lui plaira, excepté des hommes ! De même que l’on se saurait manger sans dommage et avec profit que si l’on éprouve le désir de manger, de même on ne peut agir envers les hommes sans dommage et avec profit si l’on ne commence point par aimer les hommes.

Un des préjugés les plus enracinés et les plus répandus consiste à croire que tout homme a en propre certaines qualités définies, qu’il est bon ou méchant, intelligent ou sot, énergique ou apathique, et ainsi de suite. Rien de tel, en réalité. Nous pouvons dire d’un homme qu’il est plus souvent bon que méchant, plus souvent intelligent que sot, plus souvent énergique qu’apathique, ou inversement : mais dire d’un homme, comme nous le faisons tous les jours, qu’il est bon ou intelligent, d’un autre qu’il est méchant ou sot, c’est méconnaître le vrai caractère de la nature humaine.
Les hommes sont pareils aux rivières qui, toutes, sont faites de la même eau, mais dont chacune est tantôt large, tantôt resserrée, tantôt lente et tantôt rapide, tantôt tiède et tantôt glacée. Les hommes, eux aussi, portent en eux le germe de toutes les qualités humaines, et tantôt ils en manifestent une, tantôt une autre, se montrant souvent différents d’eux-mêmes, c’est-à-dire de ce qu’ils ont l’habitude de paraître. Mais chez certains hommes ces changements sont plus rares, et mettent plus de temps à se préparer, tandis que chez d’autres ils sont plus rapides et se succèdent avec plus de fréquence.

Tous les hommes vivent et agissent en partie d’après leurs propres idées, en partie d’après les idées d’autrui. Et une des principales différences entre les hommes consiste dans la mesure différente où ils s’inspirent de leurs propres idées et de celles d’autrui.
Les uns se bornent, le plus souvent, à ne se servir de leurs propres pensées que par manière de jeu ; ils emploient leur raison comme on fait tourner les roues d’une machine, quand on a ôté la courroie qui les relie l’une à l’autre ; et dans les circonstances importantes de la vie, et même dans le détail de leurs actes les plus ordinaires, ils s’en remettent à la pensée d’autrui, qu’ils nomment « l’usage », la « tradition », les « convenances », la « loi ».
D’autres, au contraire, en plus petit nombre, considèrent leur propre pensée comme le principal guide de leur conduite et s’efforcent, autant qu’ils peuvent, de n’agir que d’après les avis de leur raison à eux.

Les lumières électriques et téléphones et expositions sont excellents, de même que tous les jardins de plaisance, avec concerts et performances, et tous les cigares, et les boites d’allumettes, et les bracelets, et les automobiles, mais ils peuvent tous aller à la perdition, et non seulement eux, mais les chemins de fer, et toutes les affaires usinés de chinzt et les vêtements du monde, si pour les produire il est nécessaire que quatre-vingt dix neuf pourcent des gens demeurent en esclavage et périssent dans les usines nécessaires à la production de ces articles. Si, pour que Londres ou Petersburg soient éclairés par l’électricité, ou afin que pour construire des bâtiment d’exposition, ou pour tisser des belles affaires rapidement et abondamment, il soit nécessaire que même quelques vies soient détruites, ou ruinées ou abrégées – et les statistiques nous montrent combien il en est qui sont détruites – que Londres et Petersburg soient plutôt éclairés au gaz ou à l’huile; qu’il n’y ait pas d’exposition, de peinture, ou de matériaux plutôt que de l’esclavage, et aucune destruction de vie humaine en résultant. (…)

« Chacun parvient à la vérité selon sa propre voie, il faut, cependant, que je dise ceci :
ce que j’écris ne sont pas seulement des mots, mais je le vis, c’est mon bonheur, et je mourrai avec. »