Nature et Poésie

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L’intelligence des plantes

Professeur à l’Université de Florence (Italie), Stefano MANCUSO a fondé le Laboratoire International de Neurobiologie Végétale.
Il est l’auteur, avec la journaliste Alessandra VIOLA, du livre « Verde Brillante » qui, depuis sa publication en 2013, a été traduit en une vingtaine de langues. La version française vient de paraître sous le titre « L’intelligence des plantes ».

« Il y a une sorte d’aveuglement face au monde végétal. C’est inscrit dans notre fonctionnement cérébral, cela a été étudié, et il existe même une expression en anglais pour cela : plant blindness, la « cécité pour les plantes ». C’est probablement dû au fait que notre cerveau n’est pas très bon pour traiter la quantité immense de données qui transitent par nos yeux. Il filtre donc tout ce qui n’est pas intéressant pour notre survie immédiate et se concentre sur la détection des dangers que peuvent représenter les autres animaux ou les autres humains. Mais pas sur les plantes, au milieu desquelles nous avons toujours évolué.
J’ai l’habitude de dire que les plantes ont les mêmes comportements que les animaux, mais qu’elles font les choses différemment, sans se déplacer. Elles ont suivi une sorte d’évolution parallèle à celle des animaux et c’est pourquoi nous avons tant de mal à les comprendre, parce qu’elles sont si différentes de nous.

Prenons l’exemple de la mémoire.
C’est quelque chose que, normalement, nous n’associons pas aux plantes.
Mais elles sont capables de mémoriser divers stimuli et de faire la différence entre eux. Un de mes récents articles était consacré à la sensitive (Mimosa Pudica). Ses folioles se replient quand on les touche. Je me suis rappelé cette expérience qu’avait menée Lamarck : il avait fait transporter des plants de sensitive en carrosse par les rues pavées de Paris. Au début, à cause des cahots de la route, leurs feuilles se rétractaient, puis se rouvraient, puis se fermaient de nouveau, etc.
Mais, à un certain point, elles cessaient de se refermer.
J’ai répété l’expérience avec 500 pots de Mimosa Pudica en les faisant tomber de 3 cm de haut. Au début, les feuilles se referment à chaque fois. Après quelques répétitions, elles restent ouvertes. On peut se dire que c’est parce qu’elles sont fatiguées et n’ont plus d’énergie. Mais non : si vous les touchez, elles se referment immédiatement. En fait, les plantes ont mémorisé que ce stimulus spécifique, la petite chute, n’est pas dangereux. Après cet apprentissage, on les a laissées tranquilles dans une serre. Deux mois après, on les a soumises au même stimulus et elles s’en sont souvenues : elles ne se sont pas refermées.

On sait aujourd’hui que les végétaux partagent beaucoup d’informations.
Ce sont des êtres sociaux.
Dans mon tout dernier article, nous avions deux groupes de plantes. Au pied du premier nous avons mis du sel, qui est très stressant pour les plantes. Après deux semaines, nous avons regardé les effets sur le second groupe, dans le sol duquel il n’y avait pas de sel du tout, elles avaient pourtant développé une résistance au sel. Elles avaient reçu un message des autres et se préparaient au sel.

Les végétaux s’échangent des informations sur la qualité de l’air, du sol, sur la présence de pathogènes, sur une agression par des insectes.
C’est une communication réelle.
Un de mes doctorants est allé en Californie pour étudier des populations de sauge qui y vivent à l’état sauvage. Il s’est aperçu qu’elles pouvaient toutes communiquer entre elles mais aussi que l’efficacité de cette communication était plus importante au sein d’un même groupe qu’entre différents groupes. Cela signifie qu’il y a en quelque sorte des dialectes chimiques, de petites variations dans les composés organiques volatils qu’elles émettent. C’est stupéfiant.


Les plantes communiquent aussi avec des animaux…

Oui, et on le voit bien avec la pollinisation.
Et dans de nombreux cas, les plantes sont même capables de manipuler des animaux avec les substances chimiques qu’elles produisent. Un exemple avec les relations que beaucoup de végétaux entretiennent avec les fourmis : quand des insectes les mangent, les plantes émettent des composés volatils pour appeler les fourmis à l’aide. Celles-ci viennent parce que la plante fabrique du nectar plein de sucre.
Elles le boivent et défendent la plante contre ses ennemis.
Mais ce qui a été découvert récemment, c’est qu’il ne s’agit pas d’un simple échange « défense contre nourriture » : dans le nectar, il y a aussi des substances neuroactives. Des drogues. Qui rendent les fourmis « accros » et les obligent à rester là. Et la plante module ses sécrétions de composés neuroactifs en fonction de ce qu’elle veut obtenir chez les fourmis : qu’elles aient un comportement agressif, qu’elles patrouillent, etc.

Les plantes sont les seuls organismes à régler réellement leurs problèmes,
parce que nous autres animaux pensons résoudre nos problèmes mais, en fait, nous utilisons en général le mouvement pour les éviter : il fait froid, alors nous allons dans un endroit plus chaud et vice versa ; s’il y a un prédateur, nous nous sauvons ; s’il n’y a plus de nourriture, nous nous déplaçons. Les plantes sont confrontées aux mêmes problèmes mais doivent les résoudre sans l’aide du mouvement. Elles sont donc beaucoup plus intelligentes que les animaux ! »