Nature et Poésie

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Romain Gary : Donner une préférence au rêve…

Roman Kacew, dit Romain Gary, est un diplomate et romancier français, de langues française et anglaise, né le 15 mai 1914 à Vilna dans l’Empire Russe( actuelle Vilnius en Lituanie, pendant l’entre-deux-guerres, Wilno en Pologne) et mort le 2 décembre 1980 (à 66 ans) à Paris.

Il arrive à Nice en 1928 et est naturalisé français en 1935. En 1940, il rejoint l’Angleterre et les Forces aériennes françaises libres. En 1945, il se marie avec l’écrivain et journaliste anglaise Lesley Blanch, et fait ses débuts dans la diplomatie au service de la France. Il est secrétaire d’ambassade à Sofia puis à Berne, et attaché de presse de l’ONU à New York. 

En 1945 il publie Éducation européenne. Consul général de France à Los Angeles (1956-1960), il rencontre l’actrice américaine Jean Seberg, qui deviendra sa seconde épouse. Il écrit Les Racines du ciel (prix Goncourt 1956), est coscénariste du Jour le plus long (1962), réalise deux films, Les oiseaux vont mourir au Pérou (1968) et Kill (1972, traduction française Police magnum). À partir de la publication de La promesse de l’aube en 1960, il se consacre de plus en plus à son activité d’écrivain.

Important écrivain français de la seconde moitié du 20e siècle, il est également connu pour la mystification littéraire qui le conduisit, dans les années 1970, à signer plusieurs romans sous le nom d’emprunt d’Émile Ajar, en les faisant passer pour l’œuvre d’un tiers. Il est ainsi le seul romancier à avoir reçu le prix Goncourt à deux reprises, sous deux pseudonymes.

Extraits de son oeuvre

« Je voudrais que mon livre soit un de ces refuges, qu’en l’ouvrant, après la guerre, quand tout sera fini, les hommes retrouvent leur bien intact, qu’ils sachent qu’on a pu nous forcer à vivre comme des bêtes, mais qu’on n’a pas pu nous forcer à désespérer. »   Education européenne

« Je trouve que c’est ce que j’ai fait de plus valable dans ma vie, c’est d’introduire dans tous mes livres, dans tout ce que j’ai écrit, cette passion de la féminité soit dans son incarnation charnelle et affective de la femme, soit dans son incarnation philosophique de l’éloge et de la défense de la faiblesse, car les droits de l’homme ce n’est pas autre chose que la défense du droit à la faiblesse. »  ►  Le sens de ma vie : Entretien

« Gari veut dire  » brûle  » ! en russe, à l’impératif – il y a une vieille chanson tzigane dont c’est le refrain…C’est un ordre auquel je ne me suis jamais dérobé, ni dans mon œuvre ni dans ma vie. »   La nuit sera calme

« Je vais vous avouer qu’il m’arrive souvent de donner une préférence au rêve, ne laissant jamais à sa rivale la Réalité plus de cinquante pour cent des bénéfices, ce qui explique peut-être ma longévité, dont tant de gens s’étonnent, car ne vivant vraiment qu’à moitié, il est normal que ma ration de vie s’en trouve doublée. »  ►  Les enchanteurs

« J’ai le goût du merveilleux. Ce sont des restes d’enfance. Il n’y a pas de création sans ça. J’ai un goût très vif pour tous les papillons du merveilleux et j’essaie de les saisir, et qu’ils soient observés, vécus ou créés, c’est la même chose, c’est toujours une quête du merveilleux. Le cinéma, c’est un filet à papillons, comme le roman, comme la vie vécue. »  ►  La nuit sera calme

« On a volé à l’homme sa part imaginaire, mythique, et cela ne donne pas un homme «vrai», cela donne un homme infirme et mutilé, parce qu’il n’y a pas d’homme sans part de poésie, il n’y a pas d’Europe sans part d’imaginaire, sans la «part Rimbaud», ce n’est pas le règne du réalisme, c’est le règne du zéro. Or, s’il est une part humaine qui ne peut pas se passer d’imaginaire, c’est notre part d’amour.  Tu ne peux pas aimer une femme, un homme, sans les avoir d’abord inventés, tu ne peux pas aimer l’autre sans l’avoir d’abord inventé, imaginé, parce qu’une belle histoire d’amour, ce sont d’abord deux êtres qui s’inventent, ce qui rend la part de réalité acceptable, et indispensable même, comme matériau de départ. Ce qu’on appelait jadis le «grand amour», c’est le dévouement pendant toute une vie et souvent jusqu’à l’extrême vieillesse de deux êtres à cette œuvre d’imagination qu’ils ont créée ensemble et réciproquement, deux êtres qui se sont d’abord inventés… »  ►  La nuit sera calme

« D’une façon générale, messieurs, évitez de cuire dans votre propre jus. Prenez dès maintenant l’habitude de cuire dans le jus des autres, ça fait moins mal. Chacun de vous est entouré de millions de gens, c’est la solitude. Cessez un peu de pensez à vous-même. Pensez à eux, à toutes les difficultés qu’ils ont pour vivre, vous vous sentirez mieux. On ne peut pas se passer de fraternité, pour vivre mieux. »  ►  Gros-Câlin

« En ce moment même, on assiste, au nom de l’unité européenne, à la plus basse, la plus acharnée et la plus bête compétition commerciale. Les siècles passés pratiquaient l’injustice au nom des vérités fausses « de droit divin », mais auxquelles on croyait fermement. Aujourd’hui, c’est le règne des mensonges les plus éhontés, le détournement constant de l’espoir, le mépris le plus complet de la vérité. »   ►  La nuit sera calme

« Cependant, j’étais loin d’être désespéré. Je ne le suis même pas devenu aujourd’hui. Je me donne seulement des airs. Le plus grand effort de ma vie a toujours été de parvenir à désespérer complètement. Il n’y a rien à faire. Il y a toujours quelque chose en moi qui continue à sourire. »   ►  La Promesse de l’aube

« On dit tant de bêtises sur la naissance ! Il ne suffit pas de venir au monde pour être né. « Vivre », ce n’est ni respirer, ni souffrir, ni même être heureux, vivre est un secret que l’on ne peut découvrir qu’à deux. Le bonheur est un travail d’équipe. Je laisse passer les secondes et les minutes et cette lente caravane est chargée de sel de bonheur, car elle va vers toi. »   ►  Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable

« Tant qu’on ne verra pas à la tribune de l’Assemblée nationale une femme enceinte, chaque fois que vous parlerez de la France, vous mentirez ! Il y a dans le monde politique une absence effrayante de mains féminines… Finalement, les idées, c’est dans les mains que ça prend corps et forme, les idées prennent la forme, la douceur ou la brutalité des mains qui leur donnent corps et il est temps qu’elles soient recueillies par des mains féminines… »  ►  La nuit sera calme

« Je trouve au contraire que nous voyons autour de nous constamment la preuve qu’il n’y a que trop de limites à la sensibilité. Je refuse, pour ma part, de céder à l’escalade moderne de la désensibilisation. Je refuse de dévaluer face à l’inflation, d’admettre que cent francs de souffrances ne valent plus qu’un franc, autrement dit, qu’il faut aujourd’hui cent morts là où un seul vous aurait suffi hier. »     Chien blanc

« Une maison brûle, mais elle n’intéresse personne. Par contre, à 50 mètres de là, devant la vitrine d’un magasin, on regarde les maisons brûler sur l’écran d’une télévision. La réalité est là, à deux pas, mais on préfère la guetter sur le petit écran : puisqu’on l’a choisie pour vous la montrer, ça doit être mieux que cette maison qui brûle à côté de vous. La civilisation de l’image est à son apogée. »     Chien blanc

« Vous allez m’envoyer composer des poèmes, comme le gouverneur, mais dites-vous bien que les hommes n’ont jamais eu plus besoin de compagnie qu’aujourd’hui. On a besoin de tous les chiens, de tous les chats, et de tous les canaris, et de toutes les bestioles qu’on peut trouver…
Il cracha soudain par terre, avec force. Puis il dit, la tête baissée, comme s’il n’osait pas regarder les étoiles : Les hommes ont besoin d’amitié. »   
►  Les racines du ciel

« Elle avait un visage aux traits si fins qu’on avait envie de la prendre au creux de la main et une vivacité harmonieuse dans chaque mouvement qui m’avait permis d’avoir une très bonne note à mon bac de philo. J’avais choisi l’esthétique à l’oral et l’examinateur, excédé sans doute par une journée de travail, m’avait dit :
– Je ne vous poserai qu’une question et je vous demande de me répondre par un seul mot. Qu’est-ce qui caractérise la grâce ?
Je pensai à la petite Polonaise, à son cou, à ses bras, au vol de sa chevelure, et je répondis sans hésiter :
– Le mouvement.
J’eus un dix-neuf. Je dois mon bac à l’amour. »   
►  Les cerfs-volants

« Lorsqu’on a aimé une femme de tous ses yeux, de tous ses matins, de toutes les forêts, champs, sources et oiseaux, on sait qu’on ne l’a pas encore aimée assez et que le monde n’est qu’un commencement de tout ce qui vous reste à faire. »     Clair de femme