Nature et Poésie

Une sélection de beaux textes à découvrir… Contemporains ou anciens des écrits pleins de vie et de poésie pour tous.

Maurice Carême : Le ciseleur de mots

Ce qui frappe, chez Carême, c’est sa musicalité. La rime est souvent pauvre, faible, remplacée par l’assonance – le rythme est toujours là. Ni trop haut, ni trop fort, mais juste. Portant le chant qui, lui non plus, ne monte jamais trop haut, jamais trop fort. Ce poète était un sage. Il connaissait ses limites. Il avait choisi son instrument, il en jouait avec cette aisance qui révèle le don, il n’en voulait pas d’autre et il avait raison.

Au moment où il écrit, il doute de la valeur de ses vers – qu’ils viennent et se bousculent en lui ou ne répondent que lentement à son inspiration. Ne sait-il le labeur qu’il devra consacrer à leur mise au point ? Il lui faudra des jours, des semaines, des mois avant d’atteindre cette impression de jaillissement de source qu’il eût aimé trouver dès leur création. Aussi s’amuse-t-il de lire les critiques de son pays affirmer qu’il publie tout et ne corrige rien. La vérité ? Il ne garde pas même un poème sur dix. Mais quel écrivain échappe à ce travail en profondeur d’une œuvre toujours remise sur le métier ?

Bien sûr, il y a le miracle parfois. Mais il est rarissime.

Carême est indéniablement un orfèvre du vers court. Tout cela paraît aisé, voire facile. Il y a là une aisance du vers, une musicalité rare en ce temps d’intellectualisme, de recherche d’originalité à tout prix.

Le regard que Maurice Carême porte sur son enfance traduit un perpétuel étonnement devant toute chose, si simple soit-elle. Ce don d’émerveillement, que le poète possède ainsi qu’une grâce, confère à son art la fraîcheur et la finesse propres à l’imagination de l’enfance. La simplicité du ton n’exclut cependant pas un travail rigoureux en ce qui concerne la technique poétique. Celle-ci requiert une patience et des efforts de dépouillement digne du métier d’artisan. Maurice Carême se considérait lui-même comme un « ciseleur de mots », « un sculpteur d’images ». 

De longueurs moyennes, les poèmes ne dépassent que rarement les quatre ou cinq strophes. La concision, fait en effet partie de l’art de Maurice Carême.

« On assigne à la poésie un rôle trop élevé, remarquait Maurice Carême. On lui demande une explication du monde, alors qu’elle ne devrait être qu’une exaltation de la vie (…) Le poète est l’homme qui parle aux autres hommes de tout ce qui donne du prix à l’existence. » Là est le secret de Maurice Carême : il nous parle de l’homme, de chacun de nous. Et chacun se sent compris et touché par ce qu’il dit.

Nous étions quelques-uns à le savoir : le plus populaire de nos écrivains souffrait d’être mal compris. Parce qu’il était simple, on le disait facile. Parce qu’il était direct, on le trouvait court. Parce qu’il s’adressait à tous, il était nié par quelques-uns. Certains cénacles lui fermaient leur porte, certains critiques n’ouvraient pas ses livres. Connu jusqu’à Moscou, jusqu’à Tokyo, il n’était pas toujours reconnu à Bruxelles.

L’œuvre de Maurice Carême comprend plus de quatre-vingts recueils de poèmes, contes, romans, nouvelles, essais, traductions. De nombreuses anthologies de ses poèmes ont été publiées.

Il viendra
 » Vous verrez, dit-il, il viendra,
Celui qui est meilleur que moi. »
Et le jour même de sa mort,
L’homme arriva plus simple encor
Et plus enclin à pardonner
Qu’on eût osé l’imaginer.
Mais à son tour, il répéta,
 » Vous verrez, dit-il, il viendra,
Celui qui est meilleur que moi. » 

Voici deux mille ans
Qu’en ce monde en feu, on l’attend.

 

 

La liberté
Je suis la liberté,
Répétait-il, la liberté
Avec tous les dangers
Que je vais vous valoir
Et, pour me faire taire
Il faudra me tuer. 

Mais on le laissait faire
On le laissait parler.
Il était bien trop solitaire
Pour amener l’homme à briser
Le cercle de fer et d’acier
Où l’injustice et la misère
L’avaient peu à peu enfermé.

Je suis la liberté,
Répétait-il encore.
Regardez-vous ! Vous êtes morts.
Mais comme on avait à manger,
On le laissait crier.