Nature et Poésie

Une sélection de beaux textes à découvrir… Contemporains ou anciens des écrits pleins de vie et de poésie pour tous.

MARCEL PAGNOL : les joies simples de l’enfance, la famille, les bêtises…

 

                          

Naïs  (1945) – Extrait 

« Je vais vous dire Madame Rostaing, quand j’étais petit mes parents m’adoraient.
Et surtout ma grand mère, j’étais déjà comme je suis naturellement.
Et moi, je savais pas, enfin je veux dire je savais pas la différence qu’il y avait avec les autres.
La bosse c’est traître, ça vous vient par derrière on la voit pas.
Chez les paysans y’a pas d’armoire à glace et on se voit dans les yeux de sa mère,  et naturellement on s’y voit beau.
Un jour un voisin qui était très gentil m’a dit : « Oh le joli petit bossu ! »
Alors j’ai demandé à ma grand-mère : « Qu’est-ce que c’est un bossu ? »
Alors elle m’a dit : « C’est vrai que tu es un joli petit bossu parce que tu as un peu le dos rond et c’est parce que tu n’es pas comme les autres qu’on t’aime beaucoup. »
Alors elle m’a chanté une vieille chanson, je me rappelle pas la musique mais les paroles ça disait comme ça : « Un rêve m ‘a dit une chose étrange,  un secret de Dieu qu’on a jamais su. Les petits bossus sont de petits anges, qui cachent leurs ailes sous leur pardessus. Voilà le secret des petits bossus. »
C’est joli mais c’est pas vrai. Moi, j’y ai cru jusqu ‘à dix ans, je croyais que les ailes me poussaient.
Alors souvent, ma grand-mère, elle me chantait la chanson qui était beaucoup plus longue que ça.
Seulement les grands-mères, Madame Rostaing, c’est comme le mimosa,  c’est doux et c’est frais et c’est fragile. Un matin elle n’était plus là.
Un bossu et une grand-mère tout va bien on peut chanter.
Mais un petit bossu qui a perdu sa grand-mère, c’est un bossu tout court. »

La prière aux étoiles (1941) – Extrait

« Et on s’embrasse, et on se dit : « Je t’aime », et on se fait du charme et tout le reste, et ça va très bien…
Et tout d’un coup, il y en a un des deux qui donne à l’autre…un sou d’amour. Mais de vrai amour, tu comprends.
Un sou, pas plus. oh… Ce n’est presque rien, c’est peut-être une nouvelle robe de la couleur de sa cravate, c’est peut-être de répéter une phrase qu’il a dite la veille…
C’est une façon de tenir une main, un regard plus bleu, un petit tremblement dans la voix… Alors, il faut que l’autre le comprenne… Il faut que tout à coup il sente que ce n’est pas trois mille francs de coquetterie, ou dix mille francs de flirt, mais que c’est beaucoup plus que ça, parce que c’est un sou d’amour.
Et alors, tout de suite, il faut que, pour un sou, il rende tout à coup deux sous d’amour. »

La gloire
de mon père
 (1957) – Extrait

« Ce que j’écoutais, ce que je guettais, c’était les mots : car j’avais la passion des mots ; en secret, sur un petit carnet, j’en faisais une collection, comme d’autres font pour les timbres. J’adorais Grenade, Fumée, Bourru, Vermoulu et surtout Manivelle : et je me les répétais souvent, quand j’étais seul, pour le plaisir de les entendre.
Or, dans les discours de l’oncle, il y en avait de tout nouveaux, et qui étaient délicieux : Damasquiné, Florilège , Filigrane, ou grandioses : Archiépiscopal, Plénipotentiaire.

Lorsque sur le fleuve de son discours je voyais passer l’un de ces vaisseaux à trois ponts, je levais la main et je demandais des explications, qu’il ne me refusait jamais. C’est là que j’ai compris pour la première fois que les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images.

Mon père et mon oncle encourageaient cette manie, qui leur paraissait de bon augure : si bien qu’un jour, et sans que ce mot se trouvât dans une conversation (il en eût été le premier surpris ), ils me donnèrent Anticonstitutionnellement en me révélant que c’était le mot le plus long de la langue française. Il fallut me l’écrire sur la note de l’épicier que j’avais gardée dans ma poche.
Je le recopiai à grand-peine sur une page de mon carnet, et je le lisais chaque soir dans mon lit ; ce n’est qu’au bout de plusieurs jours, que je pus maîtriser ce monstre, et je me promis de l’exploiter, si par hasard, un jour, vers la fin des temps, j’étais forcé de retourner à l’école. »

« De mourir, ça ne me fait rien. Mais ça me fait de la peine de quitter la vie. »