Nature et Poésie

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La vie secrète des arbres

Extraits du Recueil « La vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben

La forêt cache des merveilles que nous commençons tout juste à découvrir…
Notre difficulté à comprendre les arbres a surtout pour origine leur extrême lenteur. Leur enfance et leur jeunesse sont dix fois plus longues que la nôtre et ils vivent au moins cinq fois plus longtemps que nous.
Mais pourquoi les arbres ont-ils un comportement social, pourquoi partagent-ils leur nourriture avec des congénères et entretiennent-ils ainsi leurs concurrents ? Pour les mêmes raisons que dans les sociétés humaines : à plusieurs la vie est plus facile ?
Un arbre n’est pas une forêt, il ne peut à lui seul créer des conditions climatiques équilibrées, il est livré sans défense au vent et à la pluie. A plusieurs, en revanche, les arbres forment un écosystème qui modère les températures extrêmes, emmagasine de grande quantité d’eau et augmente l’humidité atmosphérique… Pour maintenir cet idéal, la communauté doit à tout prix perdurer.
Quels éléments permettent à l’arbre de distinguer son pollen de celui de son voisin ? La science continue de s’interroger. Nous savons seulement qu’il s’agit d’un phénomène d’activation de certains gènes et de leur acceptation par un arbre donné. Ne pourrait-on pas dire tout simplement que l’arbre le sent ?
Et les échanges vont bon train. Qui est bien nanti donne généreusement et qui peine à se nourrir reçoit de quoi améliorer son ordinaire. Nous retrouvons ici aussi les champignons dont l’immense réseau agit cette fois en machine à redistribuer géante. En somme, le système fonctionne un peu comme nos services d’aide sociale.
La diversité est une assurance de pérennité, et comme les champignons sont de leur côté dépendants de la stabilité de leur environnement, si les appétits hégémoniques d’une espèce mettent cette dernière en péril, ils rééquilibrent les forces en aidant les plus faibles afin de les préserver d’une disparition totale.

Les arbres compensent mutuellement leurs faiblesses et leurs forces…
La vie secrète des arbresLe rééquilibrage s’effectue par le sol, par les racines. Chaque arbre est donc utile à la communauté et mérite d’être maintenu en vie aussi longtemps que possible. Même les individus malades sont soutenus et approvisionnés en éléments nutritifs jusqu’à ce qu’ils aillent mieux.
Si nous voulons que les forêts jouent plus pleinement leur rôle dans la lutte contre le changement climatique, nous devons les laisser vieillir.
Nous devons veiller à ne pas puiser dans l’écosystème forestier au-delà du nécessaire et nous devons traiter les arbres comme nous traitons les animaux, en leur évitant des souffrances inutiles. L’exploitation du bois doit se faire dans le respect des besoins spécifiques des arbres. Cela signifie qu’ils doivent pouvoir satisfaire leurs besoins d’échange et de communication, qu’ils doivent pouvoir croître dans un véritable climat forestier, sur des sols intacts, et qu’ils doivent pouvoir transmettre leurs connaissances aux générations suivantes.
Un arbre n’a d’autre choix que de rester sa vie durant où sa graine a germé et s’est enracinée. Il peut néanmoins se reproduire.
Durant le cours laps de temps où les embryons d’arbres sommeillent encore enveloppés dans les graines, ils sont libres, rien ne s’oppose à ce qu’ils partent vers de nouveaux horizons. Le voyage peut commencer dès que les graines tombent de l’arbre.
Certaines espèces sont très pressées. Elles équipent leur progéniture de poils très fins afin que le premier vent les soulève et les emporte. Pour présenter la légèreté nécessaire, les graines des espèces qui choisissent cette stratégie doivent être très petites. Les peupliers et les saules fabriquent ainsi de minuscules petits planeurs qui peuvent être disséminés à des kilomètres à la ronde.
Nous savons de l’observation de la floraison des sites forestiers en voie de dépérissement que ce sont précisément les sujets mal en point qui mettent le plus d’ardeur à fleurir. Sans doute est-ce afin d’assurer leur descendance avant que la mort signe la disparition définitive de leur patrimoine génétique. Des effets similaires sont induits par les records de sécheresse et de chaleur de certains étés qui mènent les arbres au bord de la rupture puis les font abondamment fleurir le printemps suivant. Ce qui, au passage, tord le cou à l’idée qui voudrait qu’une abondance de glands et de faînes indique que l’hiver sera particulièrement rigoureux.
Les arbres ne sont pas les seuls à communiquer ainsi entre eux ; les buissons, les graminées échangent aussi, et probablement toutes les espèces végétales présentes dans la communauté forestière.
En revanche, dès que l’on pénètre dans une zone agricole, la végétation devient très silencieuse. La main de l’homme a fait perdre aux plantes cultivées beaucoup de leur aptitude à communiquer par voie souterraine ou aérienne. Quasi muettes est sourdes, elles sont une proie facile pour les insectes. L’utilisation massive de pesticides par l’agriculture moderne trouve là une de ses explications. Les exploitants de terres agricoles gagneraient à s’inspirer du fonctionnement des forêts et à laisser un peu de naturel réinvestir les cultures de céréales et de pommes de terre pour qu’elles recouvrent la parole.
Même si le lien précis de causes à effets est encore à l’étude, nous savons déjà que l’augmentation de la biodiversité induit une stabilisation de l’écosystème forestier. Plus les espèces présentes sont nombreuses, moins le risque est grand que l’une d’elles se développe au détriment des autres, car il se trouve toujours un adversaire pour se mettre en travers de son chemin.

Quand on sait qu’un arbre est sensible à la douleur et a une mémoire…
La vie secrète des arbres… que des parents-arbres vivent avec leurs enfants, on ne peut plus les abattre sans réfléchir ni ravager leur environnement en lançant des bulldozers à l’assaut des sous-bois.
Quel bouleversement si nous avions accès à ce que des hêtres, des chênes ou des pins ressentent, si nous pouvions comprendre ce qu’ils disent !
Nous n’en sommes malheureusement pas encore là ; l’exploration de ce domaine scientifique n’en est qu’à ses balbutiements. Il n’empêche, lors d’une prochaine excursion en forêt, si vous percevez de légers craquements, pas sûr que ce soit le seul fait du vent…