Nature et Poésie

Une sélection de beaux textes à découvrir… Contemporains ou anciens des écrits pleins de vie et de poésie pour tous.

Jean Giono : J’aime la vie. Je n’aime même que la vie.…

 

Jean Giono est né et mort à Manosque mais ne s’est jamais considéré comme un Provençal. 

D’origine italienne, piémontaise même, l’écrivain revendiquait des attaches montagnardes et un sens de l’universel qui s’est affiné d’une guerre à l’autre. Car on peut dire que l’expérience de la Première Guerre mondiale a durablement marqué dès son jeune âge cet homme volontiers solitaire et empathique. Viscéralement pacifiste à la sortie de cette expérience terrible qu’il a traversée durant quatre ans, Giono a gagné sa vie comme commis de banque jusqu’à sa quarantaine avant de faire le choix difficile de l’écriture. Un choix qui l’a contraint à une simplicité de vie, à des moyens modestes en contrepartie de sa liberté. Car ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était écrire sans plan, sans intention particulière, écrire pour se raconter à soi-même  les livres qu’il feuilletait d’abord dans sa tête et qu’on se plaît tant à lire et à relire aujourd’hui.

L’œuvre de Jean Giono est sans doute l’une des plus fertiles puisque son art s’est étendu à toutes les disciplines de la littérature : nouvelles, chroniques, essais, poèmes, théâtre, articles de presse, mais là où son art excelle le plus c’est dans le roman.

« Trois pages par jour, mais trois pages d’une écriture très serrée. Ce sont des pages qui font à peu près cinq à six pages de romans. Après ça, je m’arrête. Que l’inspiration vienne, ou qu’elle soit tarie, je m’arrête généralement pile. J’essaie de faire un travail de bon ouvrier. J’écris mes trois pages et si, à ce moment-là, je sens que le flux continue, je vais tout simplement dîner, fumer ma pipe, écouter de la musique et me reposer, garder la chose pour le lendemain. Par expérience personnelle, je sais que ça n’est pas perdu. Je retrouve le lendemain cette même inspiration, à l’endroit même où je l’ai quittée et enrichie par le repos et par la nuit. »

« J’aime la vie. Je n’aime même que la vie… Puis j’ai commencé à écrire et tout de suite j’ai écrit pour la vie, j’ai écrit la vie, j’ai voulu saouler tout le monde de vie. J’aurais voulu pouvoir faire bouillonner la vie comme un torrent et la faire se ruer sur tous ces hommes secs et désespérés, les frapper avec des vagues de vie froides et vertes, leur faire monter le sang à fleur de peau, les assommer de fraîcheur, de santé et de joie, les déraciner de l’assise de leurs pieds à souliers et les emporter dans le torrent. Celui qui est emporté dans les ruissellements éperdus de la vie ne peut plus comprendre la guerre, ni l’injustice sociale. »

Quelques extraits de son oeuvre    •     •    •         •     •    •     •     

Je trouve que personne ne respecte plus l’homme.
De tous les côtés on ne parle plus que de dicter, d’obliger, de forcer, de faire servir. On dit encore cette vieille dégoûtante baliverne : la génération présente doit se sacrifier pour la génération future. […] Si encore nous savions que c’est vrai ! Mais par expérience, nous savons que ce n’est jamais vrai. […]. On se moque des diseurs de bonne aventure. Il faut sinon se moquer, en tout cas se méfier des bâtisseurs d’avenir. Surtout quand pour bâtir l’avenir des hommes à naître, ils ont besoin de faire mourir les hommes vivants. L’homme n’est la matière première que de sa propre vie.

Extrait de « Refus d’Obéissance »   

Si Dieu m’écoute, il te sera donné d’aimer lentement, lentement dans tous tes amours, comme un qui tient les bras de la charrue et qui va un peu plus profond chaque jour.
Tu ne pleureras jamais la larme d’eau par les yeux, mais, comme la vigne, par l’endroit que le sort aura taillé et ça te fera de la vie sous les pieds, de la mousse sur la poitrine et de la santé tout autour. 
Extrait de « Le Grand Troupeau »  

Je dépasse à peine le premier rebord de terre que ça me fait comme un grand froid noir sur l’échine.
Je lève l’œil. Il y avait dans le ciel cinq gros nuages lancés à fond de train et c’était l’avant-garde. Ça avait encore un peu figure humaine, mais ce qui venait derrière : la fin de tout, une confiture d’encre, sans forme ni rien, avec des tressautements de tonnerre et un grand rire d’éclair qui montrait ses dents en silence avant de bramer.
Je cavale en vitesse sur la pente et, tout d’un coup, j’entends la grande averse qui court après moi. 
Extrait de « La Trilogie du Pan – Un de Baumugnes »  

 » – Tu te souviens de tout ?
– De tout. Même des choses…
– Des choses ?…
– Je veux dire des choses qu’on fait, parfois, en croyant que ça s’effacera, et puis ça reste ; après, on les retrouve, dans le temps, toutes droites, qui vous attendent.
– Des mauvaises choses ?
– Tu sais, toi, ce qui est mauvais et ce qui est bon ?» …

– La tête te fait mal?
– Non. Elle ne fait pas mal comme aux autres ; elle est pleine, voilà, elle craque toute seule dans l’ombre, comme un vieux bassin. On me laisse seul tout le temps, je peux pas parler, ça s’accumule dans moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ils restent dans la tête.
Extrait de « La Trilogie du Pan – Colline »  

Le berger prend l’enfant dans ses bras en corbeille. 
Il souffle sur la bouche du petit.
« Le vert de l’herbe », il dit.
Il souffle sur l’oreille droite du petit.
« Les bruits du monde », il dit.
Il souffle sur les yeux du petit.
« Le soleil. »
« Bélier, viens ici. Souffle sur ce petit homme pour qu’il soit, comme toi, un qui mène, un qui va devant, non pas un qui suit. »

Extrait de « Le Grand Troupeau »