Nature et Poésie

Une sélection de beaux textes à découvrir… Contemporains ou anciens des écrits pleins de vie et de poésie pour tous.

Jean D’Ormesson : Un chant éternel d’espérance

« Vous savez ce que je fais, ce que je n’ai jamais cessé de faire ?
Je change.
Comme l’univers, la vie, le temps, je change et je reste le même. »
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« J’avais un père magnifique, qui m’a beaucoup, beaucoup apporté, mais qui a donné à tous et qui laisse tant de livres et tant de traces : un esprit, une malice, une intelligence pétillante. Il pratiquait l’émerveillement, il regardait le monde comme s’il était enchanté d’un rien, d’une lumière sur une feuille. » Héloïse d’Ormesson
« On a beaucoup parlé de l’écrivain, de son savoir, de sa culture. Mais j’ai vraiment envie de parler de son humour, de son côté pétillant. C’est ce qui va vraiment nous manquer. Nous vivons dans un monde tellement triste. Nous écoutons les nouvelles, nous sommes assommés par les images, par ce que nous voyons, la tristesse, la douleur. Et cet homme avait un humour incroyable, il adorait les blagues et qu’on le fasse rire. Il avait toujours une manière de dire les choses avec beaucoup d’élégance, une certaine légèreté qui était très profonde. C’est ça qui va nous manquer : quelqu’un qui est capable de parler avec une telle légèreté de choses aussi graves et aussi profondes. » Tatiana de Rosnay – Journaliste, Ecrivain et Scénariste Française
Cher Jean, merci de nous faire tant de bien depuis si longtemps. Dans un pays pessimiste et ronchon, tu restes le plus français d’entre nous, avec ton sourire et ta joie de vivre. Tu es la revanche de l’esprit français dans un monde décérébré. Le souffle de la culture sur le désert de la pensée… Afficher son bonheur est la meilleure façon de se faire des ennemis, mais à la longue tu les as tous lassés ou semés. C’est ainsi que tu es devenu un grand monument national, quelque part entre la tour Eiffel et le château de Versailles. J’entends ton rire… Franz-Olivier Giesbert – Editorialiste
 
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« Ne vous laissez pas abuser. Souvenez-vous de vous méfier. Et même de l’évidence : elle passe son temps à changer. Ne mettez trop haut ni les gens ni les choses. Ne les mettez pas trop bas. Non, ne les mettez pas trop bas. Montez. Renoncez à la haine, elle fait plus de mal à ceux qui l’éprouvent qu’à ceux qui en sont l’objet. Ne cherchez pas à être sage à tout prix. La folie aussi est une sagesse. Et la sagesse, une folie. Fuyez les préceptes et les donneurs de  leçons. Jetez ce livre. Faites ce que vous voulez. Et ce que vous pouvez. Pleurez quand il le faut. Riez. J’ai beaucoup ri. J’ai ri du monde et des autres et de moi. Rien n’est très important. Tout est tragique. Tout ce que nous aimons mourra. Et je mourrai moi aussi. La vie est belle.

« Si quelque chose a marqué mon enfance, c’est l’amour. Un amour calme, sans tempête, sans fureur. Mais un amour fort. L’amour durable des parents entre eux. L’amour exigeant des parents pour leurs enfants. L’amour, mêlé de respect, des enfants pour les parents (…).

J’aimais beaucoup lire. Ou faire semblant de lire.

A la différence du théâtre ou du cinéma qui vous imposent leur rythme, il y a un style de lecture très proche de la rêverie.
N’allez pas croire qu’il s’agisse de paresse. C’est à peu près l’opposé. Au lieu de lire bêtement, à la suite, le livre qui vous est proposé, vous vous arrêtez, au contraire, à chaque ligne pour ajouter au texte quelque chose de votre cru. Pour enrichir l’extérieur d’un apport intérieur. Pour y mêler vos sentiments et votre propre expérience. Pour vous approprier l’œuvre étrangère qui vous est proposée (…).
J’aime rêver. La science ne rêve pas. Mais ce qu’elle découvre est la plus formidable de toutes les manières de rêver. Plus que les livres, plus que les tableaux et les monuments, plus que les paysages, plus peut-être que l’amour. J’ai rêvé le monde et la science qui tente de le comprendre. (…)
Je ne suis ni savant ni poète. J’aime les histoires. La plus belle histoire du monde, c’est l’histoire de ce monde qui n’existe que parce que nous le rêvons.
Il y a quelque chose de mieux que de s’agiter : c’est de s’ennuyer. J’écrirais volontiers un éloge de la paresse et de l’ennui. L’ennui est cet état béni où l’esprit désoccupé aspire à faire sortir du néant quelque chose d’informe et déjà d’idéal qui n’existe pas encore. L’ennui est la marque en creux du talent, le tâtonnement du génie. Voyager n’est pas mal. Le succès, c’est très bien. Etre heureux, qui ne le souhaite? S’ennuyer est bien mieux. C’est quand vous êtes perdu que vous commencez à être sauvé. La vie la plus banale, allumer un feu dans une cheminée, se promener dans les bois, ronger son frein et son cœur parce qu’on n’est bon à rien, maudire le monde autour de soi, s’abandonner aux songes, ou, mieux encore ne rien faire du tout, ou, en tout cas le moins possible – avant, bien sûr de se jeter dans le travail à corps perdu -, peut mener autrement loin (…).
J’aime les départs, les ruptures, les descentes vers le soleil, l’attente de ce qui va se passer. Je déteste les liens, les responsabilités, la vie sociale, les carrières. Dans ce train, j’étais très libre parce que j’étais déjà parti et que je n’étais pas encore arrivé. J’allais vers des espérances qui n’étaient pas précisées : elles étaient immenses puisqu’elles n’étaient pas limitées.

« L’homme est plus puissant que jamais Tout va mal : il l’est devenu beaucoup trop. Hier, il n’avait pas de moyens, mais il avait des espérances. Aujourd’hui, il a des moyens. Mais il n’a plus d’espérance. Il n’a plus d’espérance parce que les grandes choses auxquelles il croyait se sont écroulées tour à tour. Les vieilles vertus d’autrefois – le respect pour les anciens, la tradition, la famille, l’exaltation du travail, la patrie – sont tombées au rang de sarcasmes, de matières à plaisanterie, de lubies malfaisantes. Compromises par leurs liens avec des causes impures ou vaincues, avec des intérêts camouflés, avec des idéologies rejetées, elles ont cessé de constituer ce qu’elles avaient été si longtemps : un moteur de l’histoire (…).
L’argent tombe sur le monde, comme une vérole sur le pauvre peuple, bien après la pensée, bien après l’émotion, le cri, le rire, la parole, et après l’écriture. Maintenant qu’il est là, et bien là, il est difficile de s’en passer. Sa suppression entraînerait des souffrances plus grandes que ses excès. Qu’on le veuille ou non, il est devenu une espèce de malédiction âprement recherchée. Poussons le bouchon un peu loin : il est la forme prise par le mal pour se faire adorer. L’argent, écrit Cioran, a ruiné le monde. Pendant des milliards d’années, il n’y a pas de mal dans l’univers. Le mal naît avec la pensée. Il prospère avec l’argent.
En face de l’argent, qu’y a-t-il ? Il y a ceux qui n’en ont pas. On dirait que le monde moderne est fait d’argent et de pauvres. L’argent coule à flots : sur les palais des congrès, sur les aéroports, sur les avions, sur les trains à grande vitesse, sur les autoroutes et leurs échangeurs, sur les porte-avions et sur les sous-marins, sur les centrales nucléaires, sur les usines, sur les laboratoires, sur les hôpitaux qui manquent pourtant cruellement de ressources. Il ne coule pas sur les pauvres (…).

« L’histoire devient une espèce de kaleidoscope en délire où ne cessent de se succéder, et de plus en plus vite, des images éblouissantes et dépourvues de sens. Les frontières éclatent.Les distinctions s’effacent. Chacun est lié aux autres par les ondes et la toile. La campagne disparaît peu à peu. Les villes s’étendent et se rejoignent.
Il n’y a d’histoire que de la folie des hommes. L’ordre se met de lui-même autour des choses – mais le désordre aussi. Les peuples et les Etats oscillent entre la paix et la guerre, entre la liberté et la servitude, entre l’ordre et le désordre. Ils se fatiguent vite, même du bonheur qui ne tarde jamais à se teinter de lassitude. A peine jouissent-ils des bienfaits d’un gouvernement sage et juste qu’ils réclament plus de sagesse et une autre justice (…).

Je préfère, de loin, le mystère à l’absurde. J’ai même un faible pour le secret, pour l’énigme, pour un mystère dont la clé nous serait donnée quand nous serons sortis de ce temps qui est notre prison. Kant parle quelque part d’une hirondelle qui s’imagine qu’elle volerait mieux si l’air ne la gênait pas. Il n’est pas impossible que le temps soit pour nous ce que l’air est pour l’hirondelle. Tant pis ! Je prends le risque. Si tout n’est que néant, si les portes de la nuit s’ouvrent et que derrière il n’y a rien, être déçu par ma mort est le dernier de mes soucis puisque je ne serai plus là et que je n’en saurai rien. J’aurai vécu dans un rêve qui m’aura rendu heureux. Je m’amuse de cette vie qui se réduit à presque rien s’il en existe une autre. Les malheurs, trop réels, les ambitions, les échecs, les grands desseins, et les passions elles-mêmes si douloureuses et si belles, changent un peu de couleurs. Avec souvent quelques larmes, je me mets à rire de presque tout. Les imbéciles et les méchants ont perdu leur venin. Pour un peu, je les aimerais. Une espèce de joie m’envahit. je n’ai plus peur de la mort puisqu’il n’est pas interdit d’en attendre une surprise. Je remercie je ne sais qui de m’avoir jeté dans une histoire dont je ne comprends pas grand-chose mais que je lis comme un roman difficile à quitter et que j’aurai beaucoup aimé. J’ignore s’il y a un Dieu ailleurs, autre chose après la mort, un sens à cette vie et à l’éternité, mais je fais comme si ces promesses étaient déjà tenues et ces espérances, réalisées. Et je souhaite avec confiance qu’une puissance inconnue veille, de très loin, mais beaucoup mieux que nous, sur ce monde et sur moi. « 
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« Une beauté pour toujours.
Tout passe. Tout finit. Tout disparaît.
Et moi qui m’imaginais devoir vivre pour toujours, qu’est-ce que je deviens ?
Il n’est pas impossible

Mais que je sois passé sur et dans ce monde où vous avez vécu
est une vérité et une beauté pour toujours
et la mort elle-même ne peut rien contre moi. »