Nature et Poésie

Une sélection de beaux textes à découvrir… Contemporains ou anciens des écrits pleins de vie et de poésie pour tous.

Emile Zola – Germinal

« Était-ce possible qu’on se tuât à une si dure besogne dans ces ténèbres mortelles
et qu’on y gagnât même pas les quelques sous du pain quotidien ? »

Écrivain, journaliste, Émile Zola a travaillé plus de vingt ans à une grande fresque romanesque, Les Rougon-Macquart, dans laquelle il dépeint la trajectoire d’une famille, autant que la société française, sous le Second Empire. La visée morale de ces romans réalistes (sociaux, satiriques et politiques), en fait un auteur naturaliste, observateur et expérimentateur.
Le naturalisme est un mouvement littéraire qui est né dans la seconde moitié du XIXème siècle, qui s’est attaché à décrire la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être. Par sa description qui se voulait objective de la réalité sociale, le naturalisme a contribué à la prise de conscience des inégalités sociales, à la naissance des droits de l’homme, à l’émergence du droit d’expression. L’art est devenu accessible à tous, une esthétique nouvelle étant créée, la littérature ou la peinture traitant de sujets quotidiens. Le naturalisme est un système de pensée qui veut expliquer les phénomènes naturels et sociaux grâce aux progrès scientifiques prodigieux. Emile Zola est sans aucun doute la figure marquante grâce à son œuvre de théoricien, auteur de « Les Rougon-Macquart », projet grandiose d’étude de la société à travers l’histoire d’une famille.
Publié en 1885, GERMINAL est le treizième roman de la série des Rougon-Macquart. Le roman inclut un bref historique du capitalisme charbonnier à Lille et relate l’envolée des actions minières. Pour décrire de la façon la plus réaliste possible le monde de la mine, Émile Zola se documente dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, du 23 février au 2 mars 1884, alors que commence la grande grève des mineurs d’Anzin. Pendant huit jours, il parcourt les corons, il descend dans la fosse, il interroge les mineurs, porions et ingénieurs sur leur vie quotidienne et rencontre en particulier Émile Basly, meneur de la grève. Rentré à Paris, il continue de suivre les événements par la presse et compile cette documentation dans « Mes notes sur Anzin ». La dernière phrase du roman suggère que les efforts collectifs des ouvriers, et leur refus de leur vie misérable, portent en germe les révoltes futures : « Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s’ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient. Aux rayons enflammés de l’astre, par cette matinée de jeunesse, c’était de cette rumeur que la campagne était grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre. » Germinal, Septième partie – chapitre 6 [archive]
Zola fusionne les mineurs avec les végétaux, qui sortent de terre et bourgeonnent. La germination printanière se fait ainsi métaphore de la révolte ouvrière. Cette dernière phrase entre en résonance avec le titre du roman. Par ailleurs, Germinal est un mois du calendrier républicain ; il correspond au début du printemps et à la renaissance de la nature. Zola établit un parallèle entre l’éveil de la conscience ouvrière à son époque, et la Révolution française.
« Je n’avais pas huit ans, lorsque je suis descendu, tenez ! juste dans le Voreux, et j’en ai cinquante-huit à cette heure.
Calculez un peu… J’ai tout fait là-dedans, galibot d’abord, puis hersheur, quand j’ai eu la force de rouler, puis haveur pendant dix-huit ans. Ensuite, à cause de mes sacrées jambes, ils m’ont mis de la coupe à terre, remblayeur, raccommodeur, jusqu’au moment où il leur a fallu me sortir du fond, parce que le médecin disait que j’allais y rester. Alors, il y a cinq années de cela, ils m’ont fait charretier… Hein ? c’est joli, cinquante ans de mine, dont quarante-cinq au fond. »
« Non, sûrement, la vie n’était pas drôle. On travaillait en vraies brutes à un travail qui était la punition des galériens autrefois, on y laissait la peau plus souvent qu’à son tour, tout ça pour ne pas même avoir de la viande sur sa table, le soir. Sans doute on avait sa pâtée quand même, on mangeait, mais si peu, juste de quoi souffrir sans crever, écrasé de dettes, poursuivi comme si l’on volait son pain. Quand arrivait le dimanche, on dormait de fatigue. Les seuls plaisirs, c’était de se saouler ou de faire un enfant à sa femme ; encore la bière vous engraissait trop le ventre, et l’enfant, plus tard, se foutait de vous. Non, non, ça n’avait rien de drôle. »
« N’était-ce pas effroyable ? un peuple d’hommes crevant au fond de père en fils, pour qu’on paie des pots-de-vin à des ministres… Il avait étudié les maladies des mineurs, il les faisait défiler toutes, avec des détails effrayants : l’anémie, les scrofules, la bronchite noire, l’asthme qui étouffe, les rhumatismes qui paralysent. Ces misérables, on les jetait en pâture aux machines, on les parquait ainsi que du bétail dans les corons, les grandes Compagnies les absorbaient peu à peu, réglementant l’esclavage, menaçant d’enrégimenter tous les travailleurs d’une nation, des millions de bras, pour la fortune d’un millier de paresseux. »
« Augmenter le salaire, est-ce qu’on peut? Il est fixé par la loi d’airain à la plus petite somme indispensable, juste le nécessaire pour que les ouvriers mangent du pain sec et fabriquent des enfants… S’il tombe trop bas, les ouvriers crèvent, et la demande de nouveaux hommes le fait remonter. S’il monte trop haut, l’offre plus grande le fait baisser… C’est l’équilibre des ventres vides, la condamnation perpétuelle au bagne de la faim. Comment ! la réflexion serait défendue à l’ouvrier ! Eh ! justement, les choses changeraient bientôt, parce que l’ouvrier réfléchissait à cette heure. Du temps du vieux, le mineur vivait dans la mine comme une brute, toujours sous la terre, les oreilles et les yeux bouchés aux événements du dehors. Aussi les riches qui gouvernent, avaient-ils beau jeu de s’entendre, de le vendre et de l’acheter, pour lui manger la chair : il ne s’en doutait même pas. Mais, à présent, le mineur s’éveillait au fond, germait dans la terre ainsi qu’une vraie graine; et l’on verrait un matin ce qu’il pousserait au beau milieu des champs : oui, il pousserait des hommes, une armée d’hommes qui rétabliraient la justice. Est-ce que tous les citoyens n’étaient pas égaux depuis la Révolution ? Puisqu’on votait ensemble, est-ce que l’ouvrier devait rester l’esclave du patron qui le payait ? Les grandes Compagnies, avec leurs machines, écrasaient tout, et l’on n’avait même plus contre elles les garanties de l’ancien temps, lorsque les gens du même métier, réunis en corps, savaient se défendre. C’était pour ça, nom de Dieu ! et pour d’autre choses, que tout péterait un jour, grâce à l’instruction. On n’avait qu’à voir dans le coron même : les grands-pères n’auraient pu signer leur nom, les pères le signaient déjà, et quant au fils, ils lisaient et écrivaient comme des professeurs. Ah ! ça poussait, ça poussait petit à petit, une rude moisson d’hommes, qui mûrissait au soleil ! »
« Qu’on dise un peu si les travailleurs avaient eu leur part raisonnable, dans l’extraordinaire accroissement de la richesse et du bien -être, depuis cent ans ? On s’était fichu d’eux en les déclarant libres : oui, libres de crever de faim, ce dont ils ne se privaient guère. Ça ne mettait pas du pain dans la huche, de voter pour des gaillards qui se gobergeaient ensuite, sans plus songer aux misérables qu’à leurs vieilles bottes. Non, d’une façon ou d’une autre, il fallait en finir, que ce fût gentiment, par des lois, par une entente de bonne amitié, ou que ce fût en sauvages, en brûlant tout et en se mangeant les uns les autres. »
« C’était l’impatience devant l’âge d’or promis, la hâte d’avoir sa part de bonheur, au-delà de cet horizon de misère, fermé comme une tombe. L’injustice devenait trop grande, ils finiraient par exiger leur droit, puisqu’on leur retirait le pain de la bouche. Les femmes surtout auraient voulu entrer d’assaut, tout de suite, dans cette cité idéale du progrès, où il n’y aurait plus de misérables. Il faisait presque nuit, et la pluie redoublait, qu’elles emplissaient encore le coron de leurs larmes, au milieu de la débandade glapissante des enfants. »
« Et, du coron entier, monta bientôt le même cri de misère. Les hommes étaient rentrés, chaque ménage se lamentait devant le désastre de cette paye mauvaise. Des portes se rouvrirent, des femmes parurent, criant au dehors, comme si leurs plaintes n’eussent pu tenir sous les plafonds des maisons closes. Une pluie fine tombait, mais elles ne la sentaient pas, elles s’appelaient sur les trottoirs, elle se montraient dans le creux de leur main, l’argent touché. »
« L’embêtant, voyez-vous, c’est lorsqu’on se dit que ça ne peut pas changer… Quand on est jeune, on s’imagine que le bonheur viendra, on espère des choses ; et puis, la misère recommence toujours, on reste enfermé là dedans… Moi, je ne veux rien de mal, mais il y a des fois où cette injustice me révolte.
Monsieur le directeur, c’est justement parce que je suis un homme tranquille, auquel on n’a rien à reprocher, que les camarades m’ont choisi. Cela doit vous prouver qu’il ne s’agit pas d’une révolte de tapageurs, de mauvaises têtes cherchant à faire du désordre. Nous voulons seulement la justice, nous sommes las de crever de faim, et il nous semble qu’il serait temps de s’arranger, pour que nous ayons au moins du pain tous les jours. Alors, Monsieur le directeur, nous sommes donc venus vous dire que, crever pour crever, nous préférons crever à ne rien faire. Ce sera de la fatigue de moins…

Il n’y a pas d’autre arrangement possible, il faut que le travail soit payé pour être fait… »