Nature et Poésie

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Dorothéa Lange : Photographe par volonté

Figure exemplaire de la photographie américaine du 20e siècle, Dorothéa Lange photographe par volonté, laisse une œuvre humaniste dont la partie la plus visible concerne la crise sociale que connurent les États-Unis pendant les années de la Grande dépression. En lui permettant d’exprimer avec force son témoignage, son style novateur et direct vaut à certaines de ses images de s’inscrire en chefs-d’œuvre dans l’histoire de la photographie.

Dorothéa Lange est née le 26 mai 1895 à Hoboken, dans le New Jersey (États-Unis), de l’avocat Henry Nutzhorn et de Joan Lange, immigrés allemands de tradition luthérienne. L’enfance de Dorothy Nutzhorn est difficile : frappée par la poliomyélite à l’âge de sept ans, elle partage avec sa mère et son jeune frère Martin le désarroi provoqué par le départ de son père. Joan Lange s’installe ensuite avec ses deux enfants chez sa mère, couturière.

Lycéenne à la Wadleigh High Scholl de New York, Dorothy Nutzhorn décide à dix-huit ans de devenir photographe par la voie commune de l’époque, en assistant des professionnels, notamment Arnold Genthe. La formation d’institutrice à la Training School of Teachers de New York, qu’elle suit pour rassurer les siens, ne la détournera pas de son projet, qu’elle conforte en suivant en 1917 les cours de photographie de Clarence White à la Columbia University.

« Une œuvre pleine d’une lumière et d’une poésie que je n’avais jamais encore vue ailleurs dit-elle. Ce qu’il y a d’extraordinaire et qui m’étonne, c’est qu’il ne fait rien de spécial. Je ne l’entends jamais parler de technique. II fait ça naturellement. Son approche est celle d’un musicien qui cherche à tirer le meilleur de son instrument ».

Le voyage qu’elle entreprend l’année suivante avec une amie dans le dessein de découvrir le monde, tourne court : victimes d’un vol à San Francisco, les deux jeunes femmes y arrêtent leur périple. L’incident est profitable à Dorothy qui trouve un emploi de retoucheuse dans un magasin de photographie où on lui confie bientôt la réalisation de portraits commerciaux. L’élève de Clarence White se souvient des leçons du pictorialisme et connaît un succès instantané avec ses portraits nimbés de mystère, dont le léger flou séduit et flatte la clientèle fortunée de San Francisco, avant de s’ouvrir aux célébrités, artistes et intellectuels.

Elle déménage à San Francisco en 1918 pour ouvrir un studio de photographie. Elle épouse le peintre Maynard Dixon avec lequel elle a deux enfants.
Au début des années 1930, Lange passe plus de temps à photographier des sans-abris et des chômeurs touchés par la Grande Dépression. Son travail attire l’attention de la Resettlement Administration, qui deviendra plus tard la FSA.

Dès 1935, elle sera le photographe attitré de la F.S.A. Ses images attirent l’attention du grand public sur la gravité de la situation : on y lit l’effondrement économique dans ses moindres détails. Des documents remarquables qui atteignent leur but : ils font bouger les institutions et les gouvernements des Etats-Unis qui répondent aussitôt par des mesures et des crédits… la force de l’image authentique.

Le second mari de Lange, Paul Schuster Taylor, qu’elle épouse en décembre 1935, travaille avec elle sur des documentaires sur la pauvreté rurale et l’exploitation des fermiers. Ce travail jette un coup de projecteur sur le sort des opprimés. Migrant Mother, que Lange réalise en 1936, est considérée comme l’une des œuvres les plus importantes de cette période.
Quel que soit le pays dans le monde international de la photographie, où l’on formule les mots de « Migrant Mother », aussitôt le nom de Dorothéa Lange vient spontanément et avec émotion sur toutes les lèvres.
L’image est gravée dans la mémoire.
Il y a peu de cas semblables dans l’histoire de la photographie.

Parmi les femmes photographes du début de ce siècle, Dorothéa Lange est un exemple sans précédent. Elle appartient à ce mouvement humaniste, véritable raison d’être de la photographie, dont les débuts se situent vers 1900 avec Lewis Hine et Jacob Riss dénonçant le scandale d’enfants contraints de travailler dans les usines, la situation des ouvriers ou les taudis de New York.

Les images de Dorothéa s’insèrent dans ce large courant des années trente qui touche aussi bien la littérature, le théâtre que le cinéma où l’image est liée au réalisme social porté par l’air du temps. La photographie est directement à l’origine de ce mouvement.
C’est elle qui a permis que l’on prenne conscience de ces dérèglements vis-à-vis de l’homme.
Elle dénonce en un clin d’œil et attire l’attention sur tout ce qui choque la conscience et l’authenticité.
Elle révèle des milliers de fois plus vite que l’écrit.

Authentique, Dorothéa Lange l’est : la preuve en est faite.
Tout au long de sa vie, elle prend une direction et s’avance avec beaucoup de maîtrise, de sensibilité et sans faiblir, jusqu’à ce qu’elle perçoive et aperçoive. Un comportement qui nous met littéralement en communion avec elle et les sujets qu’elle photographie ; toute approche artistique ou esthétique en est exclue de sa relation avec les gens.

 

Dorothéa reste cependant fondamentalement une artiste. Son travail ne serait pas devenu œuvre d’art sans cela.
Des images intemporelles, sans effets superflus, qui touchent par leur simplicité et que l’on ne se lasse pas de voir.
Elles s’inscrivent dans la mémoire.